Séminaire « Érosion démocratique et montée de l'autoritarisme en Europe »
Présentation
Le concept d’érosion démocratique (democratic backsliding) a été utilisé par Nick Sitter et Elisabeth Bakke à propos de l’Europe en 2019 afin de caractériser les processus de dégradation de la qualité de la démocratie parmi les pays membres de l’Union européenne. Il prolonge celui de « démocratie illibérale » utilisé pour faire référence à des régimes reposant sur la souveraineté du peuple comme fondement exclusif de la légitimité démocratique et sur l’intervention de l’exécutif afin de réduire le rôle des contre-pouvoirs aux dépens de l’État de droit.
Loin de désigner exclusivement la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne, où le recul de l’indépendance du pouvoir judiciaire, de la liberté d’expression et des droits fondamentaux a été tangible, la dé-démocratisation semble atteindre à divers degrés plusieurs pays fondateurs de l’Union européenne, dont les Pays-Bas et l’Italie. Quels sont les mécanismes à l’œuvre dans les processus d’autocratisation, notamment là où l’extrême droite participe aux coalitions gouvernementales ? Comment concevoir les résistances des Cours constitutionnelles, de la société civile, des institutions culturelles ou des partis politiques qui permettent de freiner la montée en puissance du nationalisme et du souverainisme, et l’altération de l’Etat de droit ? Enfin, comment les ingérences étrangères et l’usage des manipulations sur les réseaux sociaux risquent-elles d’affecter ces processus dans les années à venir ?
Croisant des approches issues de l’histoire, des sciences politiques et de la philosophie politique, ce séminaire se donne pour objet d’analyser le présent à la lumière des expériences autoritaires et totalitaires qui ont affecté les démocraties en particulier en Europe, et au-delà partout dans le monde.
Programme
Retour sur...
Depuis le début des années 2000, on observe deux dynamiques politiques structurantes au niveau européen.
Tout d’abord, la montée des populismes qui détiennent désormais plus de 30 % des sièges dans les parlements nationaux des Etats membres de l’Union européenne (UE), contre moins de 10 % il y a vingt-cinq ans. En particulier, en dix ans, le poids des partis populistes d’extrême droite a presque doublé en Europe. Au sein des parlements nationaux, leur part de sièges est passé d’environ 10 % en 2017 à environ 20 % des sièges aujourd’hui. Cette dynamique concerne l’ensemble des pays de l’UE. Malgré leur diversité (nationale et partisane), et indépendamment des facteurs explicatifs (socio-économique, culture, politique et géopolitique), les « populismes » convergent vers un positionnement eurosceptique. Si les eurosceptiques se sont tactiquement éloignés des formes dures de rejet de l’Union à la suite du Brexit, les attitudes eurosceptiques dures et radicales restent présentes (cf. l’AfD en Allemagne).
Ensuite, la fragmentation croissante de la scène partisane. A l’échelle des vingt-cinq dernières années, le nombre de partis a augmenté dans dix-sept des vingt-sept Etats membres, les pays où la fragmentation a reculé étant principalement ceux d’Europe centrale ainsi que l’Italie. Cette fragmentation du paysage politique national accroît les difficultés à bâtir des majorités stables et le risque de gouvernements nationaux moins cohérents et plus faibles. La part des gouvernements composés de trois partis ou plus est passée d'environ 30-40 % au début des années 2000 à environ 60 % ces dernières années. Des évolutions similaires peuvent être observées à l’échelle de l’UE au sein des institutions européennes, tant au sein de la « branche exécutive » - Conseil européen et Commission européenne – qu’au sein de la « branche législative » - Parlement européen et Conseil de l’Union européenne.
Dans ce contexte de fragmentation politique accrue, et où la voix de la droite populiste et nationaliste est plus forte, le risque pour l’Union européenne est que se creuse l'écart entre l'ampleur des défis à relever et sa capacité à s'accorder sur des réponses ambitieuses. Cela concerne notamment la compétitivité de l’UE et son aptitude à renforcer les sources de croissance internes, face aux risques croissants de fragmentation du commerce international, à la politique commerciale protectionniste très brutale des États-Unis et aux subventions massives accordées par la Chine à ses entreprises ; et par ailleurs, le positionnement stratégique de l’UE et sa sécurité, dans un monde où elle semble comparativement moins déterminée et unie dans l'affirmation de ses intérêts et de ses valeurs que d'autres grandes puissances géopolitiques telles que les États-Unis, la Chine ou la Russie.
La fragmentation présente à cet égard des risques importants. Un risque politique, parce que l’incapacité de décider accroît l’insatisfaction populaire et nourrit le populisme, qui à son tour renforce la fragmentation politique. Ensuite un risque économique, parce que l’incertitude politique conduit les acteurs économiques à différer leurs investissements, ce qui pèse sur la croissance et l’emploi. Et enfin un risque stratégique, parce que l’incapacité à décider affaiblit l’UE et ses Etats membres face aux autres puissances : dans une situation de vulnérabilité accrue en termes de compétitivité et de sécurité, l’Europe est d’autant plus exposée que sa fragmentation politique l’empêche de s’entendre et de décider ; un système européen fragmenté a plus de difficultés à répondre non seulement aux régimes autoritaires mais aussi à des Etats-Unis disposant d’un gouvernement appliquant un programme radicalisé par la polarisation interne. Ces risques sont d’autant plus forts dans le contexte actuel de reconfiguration des relations internationales caractérisé par l’affirmation dominante d’une logique oligarchique autoritaire et illibérale autour des orbites chinoise, russe et américaine.
Dans ce contexte, la question décisive est de savoir comment organiser un tel système politique fragmenté face à l’« alliance » contre-nature des oligarchies autoritaires et illibérales qui trouve son point de convergence dans l’attaque contre ce qu’incarne l’UE : une communauté politique et juridique attachée à un ordre constitutionnel démocratique qui protège les libertés et la règle de droit, et repose sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs, au fondement de la démocratie libérale. Eliminer ce modèle conduirait à ouvrir la voie à l’exercice arbitraire du pouvoir et à remettre en cause l’égalité entre les citoyens.
Face à de tels défis, les coûts d’une incapacité à décider appellent à un changement d’approche qui permette une prise de décision efficace et légitime même dans une situation de fragmentation politique : in fine, l’urgence est de combler l’écart entre les attentes du Demos et le mode d’action du Kratos.
Adele d’Ascia, étudiante du Master « Affaires européennes »
Organisation
Céline Spector
Laurent Warlouzet
Détails de chaque session
« The Problem with ‘Misinformation’ » par Quassim Cassam
Le 25 nov. 2025
« The Two Crises of Democracy » par Rainer Forst
Le 06 fév. 2026