Un paradis à Ferrare
Retour par Adrian Faure sur sa participation à la conférence « ‘Per far un paradiso in questa vita’ : il De modo regendi di Antonio Cornazzano fra trattatistica politica del Quattrocento e linguaggio evocativo di Dante », Convegno internazionale d’italianistica « Bucarestina II »
Cette participation s’inscrivait dans le cadre de la deuxième édition du colloque international de langue et littérature italiennes qu’organise la Faculté de Langues et littératures étrangères de l’Université de Bucarest. Ce colloque était l’occasion pour moi d’approfondir un thème que j’ai mainte fois rencontré lors de mes travaux de recherches : celui de la littérature politique.
Pour ce faire, j’avais choisi d’étudier un texte, encore très peu connu, issu de la littérature politique de la Renaissance italienne : le De modo regendi de l’humaniste Antonio Cornazzano (ca. 1478). Composé en vers italiens pour la duchesse de Ferrare, Éléonore d’Aragon, ce traité fait partie des nombreuses œuvres rédigées par les humanistes courtisans présents à la cour de Ferrare et dédiées à la jeune duchesse pour en exalter les innombrables qualités. Le De modo regendi constitue, quant à lui, un véritable « miroir des princes » censé exposer à Éléonore les grandes vertus qu’un homme d’état (ou, en l’occurrence, une femme d’état) doit cultiver pour gouverner au mieux son peuple. La lecture de ce texte trahit néanmoins, mis à part une certaine « féminisation » de la littérature de principatibus, un manque cruel d’originalité quant au fond du sujet, surtout en comparaison d’autres textes, nettement plus modernes, également écrits pour la duchesse (notamment le Memoriale du napolitain Diomede Carafa). Il semble pour autant que l’originalité de cette œuvre ne soit pas tant à chercher au niveau des principes édictés par l’humaniste (principes éculés depuis la fin de l’Antiquité), mais plutôt dans la forme, franchement nouvelle, adoptée pour transmettre un message politique.
Le recours, souligné par l’auteur lui-même dans son œuvre, à la langue italienne, et, plus précisément, à la terzina dantesca n’est sans doute pas anodin : aucun traité politique n’a encore été écrit dans ce mètre italien avant le De modo regendi. À y regarder de plus près toutefois, la proximité avec le texte de Dante est bien plus importante. Elle ne concerne pas seulement la forme poétique, mais comprend également tout un langage et un réseau figuratif faisant du traité un texte profondément inspiré de la Comédie. Que ce soit dans la langue aux accents prophétiques de certains extraits, dans le mélange des tons qui, passant du sublime au ton plus léger voire au prosaïque le plus corporel, caractérise aussi le poème dantesque, ou encore dans les images employées, l’empreinte du Poète est indéniable. Sur ce dernier point, c’est l’image du paradis qui a attiré notre attention. Placée à l’orée du traité, cette image constitue en réalité un véritable leitmotiv qui en sous-tend la visée politique. De fait, le paradis terrestre, tel qu’il est défini dans la conception médiévale et dans le Purgatoire de Dante, se confond volontiers avec l’Eden, c’est-à-dire cet état précédant la chute où règne la justice divine. Or ce paradis, selon Cornazzano, est sur le point d’être retrouvé justement à Ferrare où le pouvoir d’Hercule d’Este et de son épouse Éléonore d’Aragon garantit à la cité sécurité et justice (assurée par les vertus des dirigeants). C’est en somme l’utilisation politique de l’image du paradis terrestre que nous avons voulu étudier, en prenant soin de la replacer dans le contexte de propagande typique de la cour d’Este.
Cette communication apporte ainsi, nous l’espérons, un élément supplémentaire à l’étude de ce langage politique mis en place à la cour ferraraise durant la période antérieure aux grandes œuvres italiennes (le Roland furieux et la Jérusalem délivrée) et sans doute moins étudiée des chercheurs.
Cette communication a suscité des questions justement en rapport avec la notion de lieu paradisiaque dans les grandes épopées ferraraises de la Renaissance. Elle appelle tout naturellement à être approfondie et menée de manière plus systématique ; elle semble cependant avoir rencontré un certain écho parmi les spécialistes du milieu ferrarais à la Renaissance. Cette étude pourrait aboutir à une édition du texte, encore inédit, de Cornazzano dans l’espoir de mieux faire connaître cet auteur qui participe de l’élaboration d’un langage politique dans la Ferrare du XVe siècle.
Tous mes remerciements vont naturellement au comité organisateur du colloque, ainsi qu’à l’équipe de recherche « Rome et ses renaissances » (EA 4081), à l’Initiative Europe et à l’Institut Sciences de l’Antiquité qui m’ont permis de présenter ma communication à l’occasion de ce colloque.
Source image : Fondo Fototeca Regionale del Veneto, Fondazione Cini/Fototeca Ist. di Storia dell'Arte
Auteur : Faure, Adrian, ATER de latin, EA 4081 – Rome et ses renaissances
Invité par : Corina Anton, Aurora Firţa-Marin, Anamaria Gebăilă, Miruma Bulumete, Universitatea din Bucareşti
Événement : Convegno Internazionale Italianistica Bucarestina – Linguaggio, Letteratura e Politica
Lieu : Universitatea din Bucareşti, Bucarest, Roumanie
Date : 26-27 septembre 2025
Projet soutenu par : EA 4081 – Rome et ses renaissances, Initiative Europe, Institut Sciences de l’Antiquité